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De l’effacement à l’apparition

Apparition – disparition – effacement – réapparition
Par iglika Christova

 

« Je ne puis m’associer vraiment au monde que par gestes[1] » écrit Henri Michaux. Au commencement de la pratique picturale de Joss Attal se trouve la volonté de faire un geste franc ; c’est-à-dire un geste qui ne cherche pas à esthétiser la nature, ni même à l’immobiliser, mais plutôt à s’approcher de son essence mouvante. Puisant dans les racines de la peinture expressionniste et dans le sillage d’un Baselitz, Attal donne à voir un geste intemporel, en quête de paysages imaginaires. L’œil, l’esprit et le corps de la plasticienne enquêtent alors « ensemble » sur le monde dit tangible.

 

Comment se saisir de l’étrangeté des œuvres ? Les peintures d’Attal naissent d’une matière picturale en perpétuelle agitation. Elles semblent être chargées des étapes qui les fait advenir. L’œuvre surgit par actions et strates superposées. Entre l’apparition, la disparition et l’effacement de la matière picturale, s’opère alors le jeu de la praxis où une image onirique semble émerger comme évidence. Paradoxalement, l’effacement fait naître l’image. Si la peintre cherche à traduire à sa manière les lois immuables de la nature, l’image qui émerge n’est pas fixe pour autant. Née de l’observation des tremblements continus des éléments de la nature, elle se dérobe par surprise et nous renvoie sans cesse à l’instabilité. La plasticienne crée un monde en mouvement où tout peut basculer d’un moment à l’autre.

Pour s’approcher des mystères de la forêt – sujet récurent des œuvres – et plus largement du monde naturel, Joss Attal trace des lignes et délimite des espaces mouvants en résonance. La forêt est convoquée comme une invitation à plonger dans les profondeurs d’un monde de fantasmes et de peurs ancestrales, mais aussi d’émerveillements et de forces créatrices. Les œuvres de Joss Attal semblent émerger par strates. La surface de la toile est ici à l’image de la structure de l'écorce terrestre. À l'instar de l’artiste Per Kirkeby (qui était aussi géologue de formation), Attal semble adopter une inspiration géologique. Nous le verrons, dans la série Forêts (2018-2019), la plasticienne enquête sur les rapports entre couleur, profondeur et surface, mais aussi entre recouvrement et dévoilement.

Avec les séries Géométries variables (2010-2014) ou Éléments naturels (2014) entres autres, l’espace blanc devient aussi un espace dédié à l'instabilité, à la respiration ou à l'attente éternelle du mouvement de la main qui peint. L'inachevé, – cher à la peinture de Giacometti ou de Cy Twombly – semble promettre dans la peinture d’Attal une certaine légèreté dans la relation ambiguë entre l’humain et la nature. En effet, les peintures de la série Géométries variable ou Borderlins (2011-2012) montrent l’humain comme une présence fragile, tantôt en résonance tantôt, en tension avec le monde naturel. Avec la série Borderlines, la silhouette humaine tout comme la ligne blanche tracée, deviennent des éléments essentiels interrogeant le lien entre l’humain et son environnement naturel.

 

À la croisée des souvenirs et des imaginaires, les œuvres convoquent des territoires intimes aux frontières instables. Cette quête des nouveaux paysages, se poursuit aussi dans les dernières séries de l’artiste : Fragmentations (2021) et Energy Fields (2021). Ici, Joss Attal se sert souvent d’objets insérés comme vecteur de réflexion sur la matière. Ces éléments identifiables (fils, jouets, tissus, morceaux d’or ou de cuivre, etc.) contrastent avec les jeux de transparence ou d’effacement de la matière picturale. L’objet inséré renvoie le regardeur vers la mémoire fragmentée d’un monde intime en ruine ou en renaissance. Comme Joss Attal le précise : « Ces éléments disent aussi ce que l’humain, par ses actions, fait à la nature et se fait à lui-même ; comment nous créons le chaos, comment nous en disséminons les débris et abandonnons derrière nous les maigres traces de notre existence, comme dans un cycle, dans ce monde incroyablement rapide. » Enfin, dans un monde d’accélération et de flux d’images virtuels, peindre revient à prélever des éléments pour se reconstituer un univers intime tangible. Il est question de se réapproprier la matière et le temps. En ce sens, peindre des images aujourd’hui semble plus nécessaire que jamais.

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[1] Henri Michaux, Idée de travers, dans Œuvres complètes, t. II, Paris, Éd. Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2001, p. 288.

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